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Lettre apocryphe d'un déséquilibré


 Il est 10h30 heure locale. Le soleil brille déjà de plein feu sur ce monastère retiré du Bhoutan : voie de sagesse et de rédemption.





Je l’attends depuis des heures, des jours, des mois, des semaines. J’attends que son cœur vienne se poser sur la délicatesse de ma détresse, sur le fleuve de ma conscience : j’ai peur. J’ai peur de mes actes passés, je suis toujours aussi effrayé par moi-même mais je ne regrette rien. J’espère simplement qu’un jour mon geste sera compris et que mes paires ne me jugeront pas, sans même m’avoir écouté au préalable. Cela étant, les années passent et la course du temps n’efface pas mes angoisses. J’ai peur d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre, j’ai peur d’avoir été jeune.

Aujourd’hui, j’attends de savoir, j’attends mon jugement tout simplement. Non pas que je craigne les hommes car je les juge inaptes à pouvoir répondre de mon cas. Je parle d’une chose bien plus énigmatique et problématique que la futilité d’une conscience humaine, éprouvant le besoin vorace de vouloir à tout prix causer ma perte, je crains l’emblématique purgatoire. Par moment, la force est en moi. Lors de ces instants, je suis prêt à affronter tous les démons de Satan, tous les venins du monde, toutes les créatures imaginées par les esprits les plus tortueux ; je suis prêt à gravir des monts immaculés, ou bien encore, à retourner en enfer : l’entrevoyant comme la résultante de mon passé et des noirs désirs du Démon Suprême, dont je ne puis prendre conscience tant l’abîme engendrée par son appétence doit être grandiloquente de désespoir et de terreur.

Cela étant, si telle est ma destinée, je l’accepterai car la vie m’a appris à vouloir, à vouloir savoir et à savoir accepter. Mais, dans la seconde qui suit cet élan viril, me reviens en tête dans un martellement frénétique, la faiblesse de mon pouvoir et la simplicité de ce que je suis : un être fait de chair et de sang. Dans ces moments là, j’ai peur, peur de ne pas assurer, peur de ne savoir quoi répondre face à mes juges, peur d’avoir les yeux bandés puis de me retrouver soudain dans la lumière. Malgré tout, ma force doit sans doute résider en ce fait que je ne suis nullement le premier à connaître cette audience divine, sacralisée par les hommes depuis la nuit des temps, par conséquent, le chemin sera peut-être déjà balisé entre ce monde et sa continuité : espérons-le...

Depuis que je suis né, mais surtout depuis que j’ai pris conscience de la mort, un combat inachevé s’est enclenché en moi, me paralysant à certain moments, me conduisant vers la voie de l’ultime sagesse à d’autres instants, ma vie fut ainsi faite. Pour résumer cela en quelques mots, je dirais que je n’aurais eu de cesse de vagabonder entre le paradis et l’enfer, prenant parfois le temps de respirer, tout en étant contraint et forcé de devoir avancer dans les ténèbres avec comme seuls points de repère, les astres dont j’ai pu prendre conscience au travers de la connaissance.

Bien sûr, beaucoup referons l’histoire, me prêtant des pensées démoniaques venues d’anciens temps. Beaucoup me clouerons au pilori sans même connaître le fin fond de l’histoire, ainsi va l’humanité. A vrai dire, même si j’ai pu critiquer fortement cette dite humanité qui m’a vu naître et qui m’aura tellement déçue, il m’arrive par moment, je dis bien par moment, de ne plus lui en vouloir.

Dans la continuité de ces propos, si j’ai parfois nourri une haine viscérale envers l’un ou l’autre d’entre vous, je m’en excuse. Pour autant, je ne demande aucun pardon, ce qui dû être fait, fut exécuté selon les lois de ma personnalité et des circonstances. Certains y verront une lutte incessante entre mon Ca, mon Moi et mon Surmoi ; d’autres commettront une erreur fondamentale d’attribution, en me confiant une responsabilité intrinsèque qui n’était en fait que la prolongation de l’environnement dans lequel j’ai vécu. Cela étant, je vous laisse seul juge des conséquences de mes actes.

          Si j'en avais eu le temps, j'aurais tenté démontrer à l’humanité toute entière la futilité de l’époque dans laquelle nous vivons. Époque où tout devient possible dans la mesure où toutes formes de réalités se trouvent mélangées dans une sorte de liquide infâme et cela grâce au concours de la masse média et des moyens de communications, avec en tête de mire, la télé réalité… Que représentait mon geste en lui-même, si ce n’est la forme la plus aboutie de télé réalité ? Un suicide en direct, le sommet de la déchéance, le nirvana de vos attentes. Ha ! La bonne blague. Dites vous simplement que je ne fus que la conséquence de vos souhaits les plus noirs et de vos désirs les plus profonds. Ce qui sépare un homme sain d’un homme malade n’est rien d’autre que l’acceptation de soi : inutile de chercher plus loin.

 Si seulement le Grand Architecte de l ’Univers me le demandait, je me couperais la tête et les mains dans le but de m’assurer de la perte de toutes formes de croyances idiotes symbolisées dans l’idolâtrie, le fanatisme sous quelques formes que ce soit ou encore dans toutes les formes d’abrutissements des masses populaires. Si seulement je le pouvais, et si seulement cela pouvait avoir une utilité, je me saignerais à blanc pour que l’humanité apprenne enfin de ses erreurs,  pour qu’elle évolue, pour qu’elle grandisse et pour qu’elle devienne autre chose qu’une pute soumise aux désirs de l’argent. Bien évidemment, je stigmatise, mais quoi de plus normal pour un être qui fut formé, classifié, étiqueté, structuré, catégorisé puis jugé  comme étant :  « malade », « fou », « dingue », « débile », « perturbé », « déséquilibré », « déjanté » et pour finir : « insensé et inapte ».

Du haut de ma maigre existence, du haut de mes maigres croyances, je me suis efforcé de faire preuve de plus en plus de tolérance, et ce, au fur et à mesure que je prenais de l’âge et que la maturité m’épaulait. Cela étant, me sentant assailli de toutes parts par des problèmes aussi faméliques que ceux de la société occidentale, je n’ai pu trouver le salut que dans la fuite. Tout comme vous, je ne fus rien d’autre qu’un individu à la recherche de l’inaccessible liberté. Je revois encore Mel Gibson, héros du film « Brave Heart », criant dans un élan sublime : « LI-BER-TE ! », telle fut ma quête, ma voie de rédemption vers la connaissance ultime de ce que je fus et de ce qui aura causé ma perte : la vie, la société et la vie que la société aura sans cesse tenté de m’imposer. Je veux simplement parler du fait de devoir toujours faire des choix et encore des choix, de devoir toujours acheter et encore acheter et cela dans le but d’assouvir les désirs du capitalisme de masse, problématique parfaitement illustrée dans un film comme « Trainspotting ». Je veux aussi parler de cette obligation ou plutôt de cette norme imposée par la société qui nous pousse à devenir quelqu’un, à avoir une utilité sociale, à contribuer à faire avancer la machine, mais qui jamais au grand jamais, ne nous permettra de prendre conscience de ce que nous faisons réellement, ainsi que de l’endroit vers lequel nous nous dirigeons : droit dans le mur : « mange gamin, tu goûteras plus tard ! ».

Pour vous révéler le fond de ma pensée, je suis intimement convaincu que lorsque Dieu prit la décision de donner sa chance aux civilisations de se développer, il omit sans doute  par bonté que la faiblesse fondamentale des hommes les conduirait inexorablement à la destruction pure et simple de leur paradis au profit d’une forme d’enfer ; telle est leur forme la plus aboutie de remerciements. Ce n’était pourtant pas si compliqué d’arriver à la constatation que le monde était avant tout ce que nous en faisions et que le paradis et l’enfer étaient tous deux confondus sur le rocher bleu.
          
Pour solde de tout compte, si comme moi vous éprouvez du mal à vous fier à la parole d’un simple être vivant, même s’il vous semble cher et qu’il en sait sans doute un peu plus que vous : rassurez-vous car je suis mort…

Baise ta vie, fais la jouir.

                                                                                                      





                                                                                                     





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